“La synodalité, c’est l’écoute et l’écoute enrichit notre charisme”

Frère Anthony Akinwale, OP, a participé au Synode des évêques “Pour une Église synodale : communion, participation et mission”.

“Dominicanes in synodi coetu de synodalitate”

« La synodalité c’est l’écoute et l’écoute enrichit notre charisme. Sans une spiritualité de l’écoute, tous nos efforts pour exercer le charisme de la prédication nous défigurent au point de devenir des idéologues agités et bruyants. Prêcher, c’est parler de Dieu en écoutant Dieu. Notre Ordre, par sa devise, est le miroir et la mémoire de l’Église, dont la valeur de témoignage est enracinée et nourrie par la contemplation », souligne dans l’interview suivante accordée au média Ordo Praedicatorum le frère Anthony Akinwale, OP, qui a participé à la XVIe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques “Pour une Église synodale : communion, participation et mission”, invité par la Conférence épiscopale du Nigeria en tant qu’expert des évêques nigérians participant au Synode.

1) Quelle a été votre expérience personnelle du Synode ?

Je ne peux parler de mon “expérience personnelle” au Synode que de manière nuancée. Je n’étais ni un délégué synodal ni un expert invité par le Secrétariat du Synode.  J’ai été invité par la Conférence épiscopale nigériane en tant que témoin expert pour les évêques nigérians participant au Synode. Je parle donc de manière nuancée. Il y a eu des sessions dont les discussions ont été rendues publiques par les médias électroniques. J’ai pu écouter ce qui se discutait. J’étais également constamment en conversation avec d’autres théologiens qui s’intéressaient à ce qui se passait au Synode, et je partageais mes points de vue avec les évêques. Même dans ce sens nuancé, je pense que ce qui s’est passé jusqu’à présent doit nous renvoyer au Concile Vatican II. Ce Concile sera toujours un point de référence. Le Concile a été un mouvement de l’Esprit Saint qui maintient l’Église toujours jeune, mais toujours fidèle à ses origines apostoliques, par le biais de la conversation longue et continue qu’est la tradition. Une Église synodale doit marcher avec le passé et le présent vers l’avenir, et le Concile Vatican II est un guide que l’on ne peut ignorer sur ce chemin. Les beaux enseignements du Concile Vatican II nourrissent notre conscience ecclésiale au moment où nous réfléchissons à une Église synodale. Je pense en particulier aux réflexions extrêmement enrichissantes des quatre constitutions conciliaires : Sacrosanctum Concilium, Lumen Gentium, Dei Verbum et Gaudium et Spes. Ces quatre précieuses constitutions résument pour nous ce qu’une Église synodale devrait être et devrait faire dans le monde. L’idée de synodalité est déjà illustrée dans le septième chapitre de Lumen Gentium, le chapitre qui décrit l’Église comme une Église pèlerine. Lumen Gentium nous apprend que l’Église pèlerine [synodale] est une assemblée du peuple de Dieu appelée à être, dans le Christ, la lumière des nations, le signe et l’instrument de la communion avec Dieu et de l’unité entre les hommes. Tous appartiennent ou sont liés d’une manière ou d’une autre au peuple de Dieu. Le peuple de Dieu est une assemblée inclusive. Ainsi, toute la Constitution, et pas seulement son septième chapitre, est en réalité un enseignement sur la synodalité. Cette assemblée du peuple de Dieu est appelée, comme nous l’apprend Sacrosanctum Concilium, à adorer Dieu et à écouter la Parole de Dieu, comme nous l’apprend Dei Verbum, et, à la fin de son adoration, à partir en mission dans le monde, comme nous le dit Gaudium et Spes. L’Église doit se mettre à l’écoute de Dieu dans un culte contemplatif pour enrichir sa mission de témoignage de l’Évangile. Et nous sommes capables d’écouter Dieu lorsque nous sommes capables de nous écouter les uns les autres. Comme je l’ai partagé avec mes frères et sœurs dominicains africains lors du sommet interafricain de l’Ordre des prêcheurs à Ibadan en 2017, nous, dominicains, ne pouvons pas être un Ordre de prêcheurs si nous ne sommes pas un Ordre d’écoutants : à l’écoute de Dieu, de nos frères et sœurs, des profondeurs de nos propres cœurs et, en fait, de la création tout entière. Si nous n’écoutons pas, nous ne pouvons pas accomplir la mission prophétique qui consiste à dire : « Ainsi parle le Seigneur ». Ces belles perspectives sur l’identité et la mission de l’Église que nous enseigne le Concile Vatican II ne doivent pas se perdre dans le brouillard des polémiques pré-synodales, synodales et post-synodales. 

2. En tant qu’expert en théologie systématique, quels sont, à votre avis, les éléments théologiques spécifiques à l’Afrique qui peuvent contribuer au cheminement synodal de l’Église universelle ?

Lors du Synode de 1994 sur l’Église en Afrique, une conception africaine de l’Église en tant que famille de Dieu a prévalu. Cette analogie représente une réception africaine de l’ecclésiologie du Concile Vatican II. Elle représente une ecclésiologie de communion dans la diversité. Il ne s’agit pas d’une abolition des différences, mais d’une communion des différences, d’une communion même dans nos différences. Il parle de l’Église en Afrique, un continent d’une diversité époustouflante. En Afrique, où l’élite politique est habile à manipuler la diversité ethnique pour obtenir et conserver l’accès aux fonctions publiques et donc aux richesses de la terre, l’Église, en son clergé, ses fidèles laïcs et ses personnes consacrées, doit résister prophétiquement à la tentation de tomber dans le séparatisme et le provincialisme, l’ethnocentrisme et le racisme. Elle doit être une assemblée prophétique d’hommes et de femmes issus de communautés ethniques différentes. Dépassant le sectarisme ethnique et la xénophobie, elle doit être, comme l’enseigne Vatican II, un signe et un instrument de communion avec Dieu et d’unité entre les peuples. Pour paraphraser l’archevêque Albert Obiefuna, d’auguste mémoire, l’eau du baptême doit être plus épaisse que le sang de l’ethnicité. Mais cela dit aussi quelque chose à l’Église universelle. À l’Afrique, elle dit non à l’ethnocentrisme. À l’Église universelle, elle dit non au racisme. L’ethnocentrisme et le racisme sont comme de vrais jumeaux. L’Église qui dit non à l’ethnocentrisme en Afrique doit dire non au racisme dans le monde entier. L’Église est une communion en Christ dont personne ne doit être exclu. Le baptême fait de chacun de nous un membre de la famille de Dieu. La dignité de chaque membre de la famille est importante. Dans cette Église-famille de Dieu, les forts et les faibles, les riches et les pauvres, les hommes, les femmes et les enfants partagent la même dignité baptismale. Lorsque nous cherchons à comprendre la foi et à en témoigner dans le monde, chacun a quelque chose à offrir et tous ont quelque chose à recevoir. Répudier l’égalité serait un “inclusivisme” facile qui négligerait la repentance, condition préalable fondamentale et impératif pour une vie de disciple. On devient disciple quand on se convertit, et on se convertit quand on devient disciple. L’Évangile, la bonne nouvelle du Fils de Dieu, la bonne nouvelle qu’est le Fils de Dieu, nous fait entrer en communion avec Dieu et les uns avec les autres. Cela exige un changement d’esprit et de cœur.

3. Selon vous, quelle est la relation entre le thème de la synodalité et le charisme de l’Ordre ?

Nous sommes l’Ordre des prêcheurs. Mais, comme je l’ai déjà dit, nous ne pouvons pas être un Ordre de prêcheurs si nous ne devenons pas un ordre d’écoutants. Mais aujourd’hui, il est difficile d’écouter. Des mégaphones et des médias puissants rivalisent pour attirer l’attention, ce qui résulte en une cacophonie qui provoque des conflits. Nous avons entre les mains des moyens de communication de plus en plus sophistiqués. Cependant, la communication est chose rare. En effet, la communication n’est pas seulement la transmission de données. La communication est un acte d’amour dans lequel, pour reprendre la devise de saint John Newman, le cœur parle au cœur (cor ad cor loquitur). Nous ne communiquerions pas si nous accordions une attention presque exclusive aux techniques de communication, sans prêter attention au sens de l’événement existentiel qu’est la communication. Pour que le cœur parle au cœur, le cœur doit écouter le cœur. La synodalité est une écoute et l’écoute enrichit notre charisme. Sans une spiritualité de l’écoute, tous nos efforts pour exercer le charisme de la prédication nous défigurent à tel point que nous risquons de devenir des idéologues agités et bruyants. Prêcher, c’est parler de Dieu en écoutant Dieu. Notre Ordre, par sa devise, est le miroir et la mémoire de l’Église, dont la valeur de témoignage s’enracine et se nourrit de la contemplation.

4) Comment un dominicain peut-il contribuer à la construction de la paix dans le monde ?

Cela découle de notre identité. Nous sommes un Ordre de prêcheurs. Par conséquent, la plus grande contribution qu’un dominicain puisse apporter à la construction de la paix dans le monde est de prêcher l’Evangile. Dans ce cas, prêcher n’est pas une question d’éloquence, de phrases soigneusement construites et présentées de manière logique et éloquente. Bien sûr, la logique et l’élocution sont d’une importance vitale. Mais la prédication est avant tout un témoignage de l’Évangile, selon lequel, en Jésus-Christ, Dieu fait la paix avec le monde, Dieu donne la paix au monde. La paix dont le monde a besoin est un don de Dieu. Nous pouvons la recevoir lorsque nous sommes prêts à agir avec justice. Et nous sommes prêts pour la justice et la paix lorsque nous ouvrons nos cœurs à l’Évangile du Christ. La justice est le rétablissement des relations avec Dieu, avec les autres, avec la création et avec soi-même. Je réitère ici l’importance primordiale de l’écoute. Le refus d’écouter n’est pas seulement une menace pour notre mission de prédication, mais aussi pour la paix. Elle manifeste un cœur troublé qui perturbe d’autres cœurs.

5) Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Je voudrais ajouter quelques-unes de mes réflexions avec les délégués africains à la session d’octobre 2024 du Synode sur la synodalité qui se sont réunis à Nairobi, au Kenya, en avril dernier. L’Église, dans sa synodalité, porte la marque de l’apostolicité et de la catholicité. Son apostolicité est dans la fidélité à la tradition apostolique. Mais cette fidélité à la tradition ne doit pas être confondue avec une attitude nostalgique à l’égard du passé. Pour le frère Jean-Marie Tillard, OP, la fidélité à la tradition dans la mission de l’Église est une “actualisation courageuse” du contenu de sa mémoire, qui est la mémoire de ce que le Christ a enseigné dans la mémoire des apôtres, mémoire qu’elle doit garder, respecter, interroger et transmettre dans tous les contextes et dans toutes les cultures. Il s’agit de permettre à l’Esprit Saint de conduire l’Église à se souvenir constamment du Christ « dans la nouveauté constante des cultures, des contextes et des tournants de l’histoire », de sorte que « l’Église reste toujours elle-même, mais jamais la même (semper ipsa, nunquam idem) »1. Pour préciser que la fidélité à la tradition apostolique n’est ni un simple attachement au passé ni une fixation sur le présent, mais une sauvegarde contre l’assignation de l’Église à des idéologies de droite ou de gauche, Tillard a déclaré : « La tradition répudie cette contestation du passé et du mouvement vers l’avenir. Elle n’est pas un retour servile à un passé sclérosé. Elle sait que l’ancien n’est pas nécessairement vrai ou meilleur.2 Elle continue néanmoins à s’enraciner dans tout ce que l’Église a “reçu” comme authentique et, de plus, elle le fait pour être elle-même, aujourd’hui comme hier. » L’impératif de fidélité à l’apostolicité comprend l’impératif d’être attentif au passé et au présent. Dans le présent, face à un monde et à des idéologies hostiles, l’Église ne doit pas avoir peur de témoigner de l’Évangile. Le dialogue est un impératif. Cependant, le dialogue ne nous dispense pas de l’annonce. Les premiers chrétiens ont témoigné face à un monde hostile. Ils auraient pu chercher le confort dans le conformisme. Mais ils ne l’ont pas fait. Ils étaient prêts à donner leur vie et à mourir pour l’Évangile. Notre génération n’est pas la première à évangéliser. D’autres l’ont fait avant nous. Leur fidélité courageuse à l’Évangile, même lorsqu’il était dangereux de le faire, nous prépare et nous inspire pour évangéliser. L’Église doit se souvenir des témoins des époques passées, des hommes et des femmes de foi, que nous devons écouter dans l’esprit de la synodalité. En outre, il y a des témoins de notre temps, des chrétiens à l’esprit évangélique héroïque, des hommes et des femmes dans des lieux où il est dangereux d’être chrétien, dangereux de témoigner de l’Évangile. Aujourd’hui, l’Église en Afrique a ses propres martyrs : ceux qui sont persécutés en raison de leurs croyances religieuses, qui vivent dans des régions d’Afrique telles que l’extrême nord du Nigeria, où il dangereux d’être chrétien ; et ceux qui sont privés de leurs droits humains et civiques fondamentaux parce qu’ils ont pris position contre les vices politiques et moraux de la société. Les martyrs d’Afrique sont ceux qui témoignent de l’Évangile du Royaume de Dieu, même s’ils vivent dans la misère dans des pays africains connus pour leurs injustices et leur corruption massives, leur pauvreté et leur répression, des pays où l’État a été personnalisé dans des chefs d’État issus de processus électoraux douteux, des pays aux constitutions et aux institutions faibles, incapables de garantir la sécurité de la terre et du peuple. L’Évangile que nous devons prêcher est memoria passionis Christi. C’est la mémoire du Christ, le Fils de Dieu, qui nous a sauvés par sa mort et sa résurrection. La mémoire de sa passion est célébrée dans l’Eucharistie, même lorsqu’elle est représentée par la souffrance infligée aux faibles, je devrais dire aux affaiblis. En tant qu’Africain, l’injustice massive à laquelle les Africains sont soumis, “pris en sandwich” entre les Pilate étrangers et les Pilate autochtones, me rappelle constamment qu’aujourd’hui, en tant que prédicateurs, nous devons témoigner de l’Évangile devant les puissants et les démunis, devant les opprimés et les oppresseurs, devant les exploités et les exploiteurs, devant les enrichis et les appauvris. Notre public est hétérogène. Très hétérogène. Dans tout cela, nous devons proclamer la bonne nouvelle que le Royaume de Dieu est en marche. Même au milieu de la détresse, l’amour de Dieu est présent et actif. Et cela nous donne de l’espérance. Une espérance que nous devons partager avec nos frères et sœurs.

  1. Jean-Marie Tillard, Sommes-nous les derniers chrétiens (Québec : Fides, 1997) 36. ↩︎
  2. Jean-Marie Tillard, Sommes-nous les derniers chrétiens ? 38. ↩︎
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