
Rencontre européenne des novices à Caleruega, 2025
Se reposer sur le cœur de Jésus, écouter les battements de son cœur comme le disciple bien-aimé lors de la dernière Cène et regarder le monde avec les yeux ouverts, telle est l’image que le Maître de l’Ordre, Fr Gerard Timoner OP, a présentée aux novices à la fin de son sermon lors de la Semaine de travail européenne des novices à Caleruega, du 29 mai au 2 juin 2025. Il a commencé son sermon par l’image de saint Ignace de Loyola, faisant l’expérience de la conversion sur son lit de malade, tandis qu’il lisait les vies de saint Dominique et de saint François – moment où germa la première intuition de son ordre. La rencontre avec la vie de saint Dominique était donc synonyme de conversion.
La rencontre avec la vie et la spiritualité de saint Dominique a été au cœur de la semaine de travail des novices, sous des formes diverses. Près de cinquante novices venus de toute l’Europe, accompagnés de leurs maîtres, ont visité la maison natale du saint. Ce lieu abrite non seulement l’église des moniales dominicaines, mais aussi une fontaine. Les fidèles y ont longtemps prélevé de la terre, jusqu’à ce qu’une source, selon la tradition, s’y mette à jaillir. Tous les maîtres des novices et les novices y ont abondamment bu, dans l’espérance que ce geste favorise les vocations dans l’Ordre.
Les novices dominicains ont également découvert d’autres lieux liés à la vie de saint Dominique, avant la fondation de l’Ordre et durant ses années d’itinérance. Le monastère de Silos, avec son cloître roman d’une grande majesté, constituait le centre spirituel de la région. On raconte que la mère de saint Dominique, la bienheureuse Jeanne d’Aza, fit un rêve : un chien, tenant une torche enflammée dans sa gueule, surgissait de son sein – image du prédicateur itinérant, déjà présente chez saint Augustin, et qui figure depuis dans les représentations du fondateur de l’Ordre.
C’est dans la cathédrale d’Osma que les jeunes dominicains ont approfondi les fondements de la vie contemplative de saint Dominique, posés essentiellement durant ses années de chanoine. La salle capitulaire où il fit profession comme augustinien, ainsi que les tombeaux de ses anciens évêques, sont encore conservés. L’évêque de ses dernières années à Osma, saint Diego, qui joua un rôle déterminant dans la maturation de l’idée de l’Ordre, repose auprès de l’autel dédié à saint Dominique, au centre duquel se trouve la croix du Santo Cristo del Milagro, devant laquelle, selon la tradition, Dominique priait inlassablement.
Dans l’ensemble, la dimension contemplative de l’Ordre a occupé le centre de cette rencontre. Le grand théologien dominicain Yves Congar parlait de la dimension « monastique » de notre vie dominicaine comme d’un aspect essentiel. Les frères l’ont perçue non seulement à travers les pierres du monastère d’Osma, mais plus encore dans les conférences du frère Paul Murray, O.P. Ce célèbre professeur de spiritualité dominicaine a approfondi non seulement la vocation contemplative de l’Ordre, mais aussi son expression la plus authentique : la miséricorde. La mystique dominicaine, affirmait-il, « est une mystique du service, non une mystique de l’enthousiasme psychologique. Dieu est bien sûr, pour Catherine et Dominique, toujours le premier centre d’attention ; mais le prochain et les besoins du prochain occupent constamment le premier plan de leur esprit. L’authentique prédicateur dominicain ne rejette donc pas le monde, et encore moins n’en appelle à la malédiction des méchants et des pécheurs. Au contraire, conscient de sa propre faiblesse, s’identifiant humblement aux souffrances du monde, il appelle à la bénédiction ». Même la faiblesse – y compris la sécheresse dans la prière, comme le père Paul l’a souligné dans une autre conférence – trouve sa place dans cette spiritualité incarnée. « Le Christ, en vertu de l’Incarnation, a connu intimement, par expérience, note saint Thomas, ce que c’est qu’être faible et tenté. Il fut lui-même saisi par la faiblesse », commente encore Thomas, en citant l’épître aux Hébreux, et il ajoute : « S’il a été tenté comme l’homme, c’est pour pouvoir compatir aux faiblesses des autres. C’est aussi la raison pour laquelle le Seigneur a permis à Pierre de tomber ». Mais, reprenant une célèbre parole de Blaise Pascal – « Personne n’est aussi heureux qu’un vrai chrétien » —, le frère Paul a aussi mis en lumière la joie qui traverse toute la spiritualité dominicaine. Saint Dominique devient alors l’image même de ce chrétien véritable, de qui l’on disait : « Il prêchait la Parole non seulement par ses discours et son exemple, mais aussi par sa joie ». C’est dans cette même veine joyeuse que s’inscrit le goût dominicain pour la singularité et l’originalité des personnes. Le frère Paul a cité un commentaire spirituel plein d’humour : « La formation jésuite, dit-on, forge le caractère, tandis que la formation dominicaine crée des caractères ! » Ainsi, la rencontre des novices n’a pas manqué de rires et d’allégresse, même au cœur des sessions d’étude.
Les novices eux-mêmes ont présenté leurs provinces, offrant ainsi un panorama saisissant des multiples domaines dans lesquels les Dominicains prêchent aujourd’hui en Europe. À cela se sont ajoutées des présentations à la fois approfondies, souvent spirituelles et non dénuées d’humour, de figures marquantes – notamment contemporaines – issues de leurs provinces respectives. Les novices ont également découvert des personnalités moins connues au-delà de leur contexte local, telles que saint Gabriel Harty, O.P. (1921 – 2019), apôtre du rosaire, dont la prédication amena plus d’une centaine d’ouvriers à réciter quotidiennement le rosaire à midi ; la bienheureuse Osanna de Cattaro (1493 – 1565), tertiaire dominicaine recluse pendant cinquante ans, qui, tout en menant une vie de prière intense, conseillait les fidèles et œuvrait pour la paix ; ou encore le frère coopérateur polonais Gwala Torbinski, surnommé le « prédicateur silencieux », qui exerça humblement son apostolat comme sacristain et bibliothécaire.
À cet ensemble sont venues s’ajouter les interventions de Mme le Dr Claire Rousseau, qui a exploré l’iconographie de saint Dominique à travers des représentations souvent peu communes : une image baroque, par exemple, où un singe et un petit diable tentent de le détourner de ses études, ou encore une représentation néerlandaise de la fin du Moyen Âge, où le Christ et la Vierge labourent et arrosent la vigne. La conférence du frère Bernardo Sastre Zamora, O.P., sur l’école de Salamanque, a suscité un débat animé, notamment autour de la question de savoir si notre époque présente elle aussi des tendances nominalistes qu’il conviendrait d’affronter, à l’instar des frères de cette école en leur temps. Cette intervention annonçait déjà le temps d’étude à venir pour les novices, et révélait leur attente comme leur vif intérêt pour ce moment.
Dans l’ensemble, ce fut une rencontre d’une richesse et d’une joie remarquables qui, à travers la vitalité manifeste des noviciats européens, donne un réel espoir aux Dominicains d’Europe.