L’Eucharistie, source et paradigme de la synodalité

Le 08 Octobre 2024
Prot. 50/24/443 MO letters to the Order

Chers frères et sœurs,

Au moment où se déroule la deuxième session de la XVIe Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, à laquelle participent et assistent certains de nos frères et sœurs, prions pour que l’Esprit Saint, qui respire dans et par le Synode, continue d’accompagner l’ensemble du peuple de Dieu dans ce pèlerinage de foi et de vie. Accompagnons le synode par nos prières.

Il faut un prédicateur dominicain pour expliquer un pape jésuite !1 Tel était le titre de l’article paru dans le magazine America, après une retraite de trois jours dirigée par notre frère Timothy Radcliffe pour les participants au synode.

Dans sa lettre à l’Ordre Praedicator Gratiae célébrant le 8th centenaire du dies natalis de saint Dominique, le pape François reconnaît que « Le zèle de saint Dominique pour l’Évangile et son désir d’une vie véritablement apostolique l’ont conduit à souligner l’importance de la vie communautaire… Cet idéal de fraternité devait trouver son expression dans une forme inclusive de gouvernance, dans laquelle tous partageaient le processus de discernement et de prise de décision, conformément à leurs rôles et autorités respectifs, à travers le système des chapitres à tous les niveaux “. Ce processus “synodal” a permis à l’Ordre d’adapter sa vie et sa mission à des contextes historiques changeants tout en maintenant la communion fraternelle. Le témoignage de la fraternité évangélique, en tant que témoignage prophétique du plan voulu par Dieu dans le Christ pour la réconciliation et l’unité de toute la famille humaine, reste un élément fondamental du charisme dominicain et un pilier pour l’Ordre qui s’efforce de promouvoir ainsi le renouvellement de la vie chrétienne et la diffusion de l’Évangile à notre époque. » (PG, 6).

Nous rappelons que le but d’un synode, en particulier du synode des évêques, est d’approfondir et de renforcer la communion2 dans l’Église. On peut discerner clairement l’importance de la spiritualité eucharistique pour une Église synodale parce que la grâce (res tantum) de l’Eucharistie est la communion avec Dieu et les uns avec les autres.3 Ainsi, nous pouvons dire que la nature synodale de l’Église se réalise et s’exprime ordinairement dans l’Eucharistie, « source et sommet de la vie chrétienne »4. C’est ce lien simple que je voudrais explorer dans cette lettre et que je vous invite à méditer, tandis que nous accompagnons le synode en cours par nos prières.

La synodalité : « Marcher ensemble vers la communion »

La synodalité est le modus vivendi et operandi de l’Église,5 c’est notre façon de discerner la volonté de Dieu pour le bien de l’Église, dans son pèlerinage, à travers l’histoire et le progrès des peuples quelles que soient leurs cultures. La synodalité est une caractéristique de l’Église pèlerine qui avance en communion vers le Père, en fidélité au Christ, sous la conduite de l’Esprit Saint. Ignace d’Antioche, dans sa lettre aux chrétiens d’Éphèse, dit que les membres de l’Église sont σύνοδοι, “compagnons de route“, en vertu de la dignité de leur baptême et de leur amitié avec le Christ.6 Il semble utile, à ce stade, de distinguer entre :

  1. “Lesprit synodal (“synodalité affective“), c’est-à-dire un ethos primordial qui anime la communion ecclésiale à tout moment. Celui-ci se manifeste d’une manière ordinaire, mais profonde, dans l’assemblée eucharistique.
  2. Les “moments synodaux“, les “événements synodaux” (“synodalité effective“) ou la manifestation concrète de cet esprit lorsqu’une communauté ecclésiale (paroisse, congrégation religieuse, Église locale ou universelle) est convoquée par l’autorité légitime (curé, supérieur, évêque, pape) pour trancher des questions litigieuses (par exemple, les hérésies des premiers siècles) ou pour discerner ensemble ce qui est bon pour la communauté (renouveau, etc.), puis pour que l’autorité légitime (supérieur religieux, conseil, évêque, pape) puisse prendre des décisions pour le bien commun. Le but d’un tel rassemblement est de renforcer la communion.7 Les chapitre religieux, le conseil pastoral paroissial, le synode diocésain, le synode des évêques, le conseil œcuménique, etc. sont des exemples de moments synodaux Et, profondément et fondamentalement, la famille en tant qu’ecclesia domestica est aussi radicalement un “moment synodal”.

Discernement et décision ecclésiale

Nous avons décidé, l’Esprit Saint et nous8(Actes 15,28). Ce fut un moment remarquable dans l’histoire de l’Église. Confrontée à la discorde et à la division, l’Église prend une décision sans précédent. Jacques, chef de la communauté de Jérusalem, a prononcé ce jugement audacieux, premier résultat d’un discernement communautaire ardu dans l’Église naissante, avec les apôtres Pierre et Paul, sous la conduite de l’Esprit Saint.

Avant ce moment décisif, les apôtres, sous la direction de Pierre, ont tiré au sort, comme le grand prêtre hébreu d’autrefois, afin de déterminer qui prendrait la place de Judas Iscariote. Ils avaient des critères clairs quant à la personne à choisir : « Il faut que celui qui nous a accompagnés pendant tout le temps où le Seigneur Jésus est venu et a cheminé parmi nous, depuis le baptême de Jean jusqu’au jour où il nous a été enlevé, devienne avec nous témoin de sa résurrection. » (Actes 1, 21-22). Ils ont prié pour être guidés, mais lorsque le moment est venu de choisir entre Joseph et Matthias, ils ont eu recours au tirage au sort. Ainsi, la décision prise n’est pas le résultat d’un processus interne de discernement communautaire, mais d’un acte impersonnel et externe de divination de la volonté de Dieu, semblable à celui utilisé dans l’Ancien Testament : « et [Aaron] tirera les sorts pour les deux boucs : un sort “Pour le Seigneur” et un sort “Pour Azazel.” (Lév. 16, 8).9 Dieu, dont la volonté se fait connaître par le biais d’un objet inanimé, isolé, pour ainsi dire, de la possibilité d’une manipulation humaine et d’une erreur de jugement, reste transcendant et invisible.

Dans l’exercice de mes fonctions de Maître de l’Ordre, j’aimerais ne pas avoir à prendre de décisions difficiles ; si seulement notre constitution permettait le “tirage au sort” comme moyen légitime de prendre des décisions ! Mais le choix de Matthias est le dernier tirage au sort que nous voyons dans le Nouveau Testament. Après la Pentecôte, la prise de décision a radicalement changé en raison de la présence immanente du Saint-Esprit qui joue un “rôle actif” dans la vie de l’Église. C’est pourquoi les Actes des Apôtres sont appelés par de nombreux biblistes “les Actes du Saint-Esprit”. Lors du Concile de Jérusalem, Jacques, chef de la communauté de Jérusalem, a prononcé son jugement : « Car il a semblé bon à l’Esprit Saint et à nous-mêmes de ne pas vous imposer un fardeau plus lourd que ces points essentiels. » (Ac 15, 28). Une décision importante n’est plus prise par une divination extérieure de la volonté de Dieu, mais par un processus communautaire de dialogue intense et de discernement patient sous la conduite de l’Esprit Saint, afin de déterminer ce qui est vraiment bon pour la communauté. En effet, « l’Esprit de vérité qui conduit à la vérité tout entière » (Jean 16,13) « habite en eux » (1 Corinthiens 3,16). Après la Pentecôte, la “manière apostolique” de prendre des décisions, “en présence du Seigneur”, est le discernement communautaire. La communication de la décision aux communautés par une lettre, puis le choix et l’envoi de délégués pour accompagner la réception de la lettre par les communautés font partie intégrante de l’ensemble du processus de prise et de mise en œuvre d’une décision communautaire (Ac 15,22-32).

Spiritualité eucharistique et synodalité

L’histoire des deux disciples sur la route d’Emmaüs présente des éléments qui peuvent nous aider à grandir dans la vie synodale de l’Église. Ils marchaient ensemble (synodoi), comme Jésus l’a dit à ceux qu’il a envoyés prêcher le Royaume. Mais ils s’éloignaient de Jérusalem, de la communauté des apôtres, parce qu’ils avaient perdu l’espérance : « nous espérions qu’il serait celui qui rachèterait Israël. » Alors Jésus a marché avec eux, leur a expliqué les Ecritures et a rompu le pain. L’écoute de la Parole leur a ouvert l’esprit, la fraction du pain leur a redonné l’espérance !

L’Église, la communion des baptisés, rend réelle et présente sa nature synodale dans la célébration de l’Eucharistie, une célébration de sa communion avec Dieu et les uns avec les autres. L’Eucharistie est vraiment une nourriture via te cum, une nourriture pour le peuple pèlerin de Dieu, l’assemblée eucharistique qui cherche à grandir dans une compréhension plus profonde de la foi et un plus grand amour du Seigneur : « Chaque fois que l’Église célèbre l’Eucharistie, les fidèles peuvent en quelque sorte revivre l’expérience des deux disciples sur la route d’Emmaüs : « Leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent » (Lc 24, 31).10 On peut donc dire que la nature synodale de l’Église se réalise et s’exprime ordinairement dans l’Eucharistie, « source et sommet de la vie chrétienne ».11

L’assemblée eucharistique (synaxe) est l’expression et l’actualisation la plus fondamentale et donc la plus universelle de la vie synodale. Nous y trouvons les éléments qui favorisent l’affectus synodalis. Ainsi, les aspects saillants de la spiritualité eucharistique doivent imprégner les diverses expressions de la vie synodale.

Rassemblés au nom de la Trinité. L’Eucharistie commence par le signe de la croix et l’invocation de la Trinité. Une assemblée convoquée au nom de Dieu signifie que ses actes sont accomplis en son nom. Dans un sens profond, l’Église devient un sacrement du Christ car elle devient porteuse de sa Présence : « Car là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18,20). Ainsi, lorsque des divisions apparaissent ou que des lignes de fracture se manifestent au sein d’une communauté en raison de différences de conviction ou de persuasion, il est temps de s’arrêter et d’examiner consciencieusement si l’adhésion à ces convictions qui divisent est vraiment faite au nom de Dieu et révèle la présence du Christ au milieu d’elle.

Réconciliation. Une assemblée appelée et convoquée au nom de la Trinité favorise la communion par un acte de réconciliation avec Dieu (réconciliation verticale) et avec les autres (réconciliation horizontale). La confessio peccati célèbre l’amour miséricordieux de Dieu et exprime le désir de ne pas laisser la tendance à la division du péché faire obstacle à l’unité : « C’est pourquoi, si tu apportes ton offrande à l’autel et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande à l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis viens offrir ton offrande. » (Mt 5,23-24). Dans son homélie lors de l’ouverture du Synode des évêques en 2012, le pape Benoît a indiqué que le meilleur chemin vers la nouvelle évangélisation passe par la réconciliation.12 La réconciliation est le meilleur moyen de guérir les relations fracturées et les cœurs brisés. Jésus nous dit : « Si tu présentes ton offrande à l’autel et que tu te rends compte que tu as quelque chose contre ton frère ou ta sœur, laisse ton offrande, réconcilie-toi d’abord, puis reviens présenter ton offrande. » (Matthieu 5,23-24). L’Eucharistie est le sacrement de la communion et de l’unité. Il n’est pas étonnant que nous commencions sa célébration par le rite pénitentiel, en demandant pardon et en nous réconciliant. Et juste avant de recevoir la Sainte Communion, nous nous donnons mutuellement le signe de la paix du Christ. Le res tantum, la pleine grâce de l’Eucharistie, est entravée si nous ne sommes pas pleinement réconciliés.

La “réconciliation horizontale” se produit lorsque les deux personnes impliquées dans un conflit s’humilient et décident de s’engager sur la voie d’un avenir réconcilié, en s’appuyant sur une mémoire cicatrisée.

Jim Campbell OP est un Américain qui a servi dans l’US Air Force pendant la Seconde Guerre mondiale et a participé au bombardement du Japon. Même après avoir rejoint l’Ordre, il était tourmenté par ce qu’il avait fait en tant que soldat. Lorsqu’il a rencontré un dominicain japonais, le frère Oshida, il s’est approché de lui et s’est excusé : « Fr. Oshida, j’ai bombardé votre peuple pendant la guerre, je suis venu demander pardon. »  Le frère Oshida lui a répondu : « Je faisais partie de l’unité antiaérienne japonaise ; nous essayions de vous abattre, et je suis également désolé que nous avons raté notre coup ! » Comprenant que le frère Oshida inventait son histoire, le frère Campbell s’est mis à rire et ils se sont serrés dans les bras !13 Le frère Campbell, qui était tourmenté par sa conscience, a été libéré en réalisant que, dans tout conflit, toutes les personnes impliquées prennent part au même mal, et que nous ne pouvons donc pas rejeter la faute sur nous-mêmes ou sur les autres.

Toutefois, si la réconciliation n’est pas possible parce que l’autre partie est partie, ou morte, ou qu’elle refuse tout simplement de se réconcilier, il faut prendre le chemin du pardon. Un saint a dit un jour : « Le pardon transforme les circonstances du péché en occasions de grâce. »14 Nous devons comprendre que pardonner, c’est reprendre le contrôle de notre tranquillité d’esprit et de notre bonheur. Nous n’avons pas à attendre que l’offenseur s’excuse, sinon nous remettons notre tranquillité d’esprit entre les mains de celui qui nous a fait du tort. Et si l’offenseur est déjà mort ? Cela signifierait-il que nous ne pouvons plus pardonner parce qu’il n’y aura jamais d’excuses ? Quelqu’un a dit avec sagesse « Pardonner, c’est libérer un prisonnier et se rendre compte que ce prisonnier, c’est vous ! »

L’écoute attentive de Dieu et des autres. Au cours de la célébration eucharistique, nous écoutons la proclamation de la Parole de Dieu et son explication dans l’homélie. Essentiellement, la prédication de la parole de Dieu est dialogique : pour que la prédication transmette vraiment le message de Dieu, le prédicateur et ses auditeurs doivent contempler la parole de Dieu. Pour que la prédication touche le cœur de l’auditoire, le prédicateur doit écouter attentivement les situations de vie de son peuple. Cette structure dialogique de la liturgie est un paradigme pour le dialogue dans le discernement communautaire : avant de nous écouter les uns les autres, nous devons d’abord écouter la parole de Dieu dans une contemplation priante, afin de pouvoir vraiment discerner sa volonté pour notre communauté.

L’un des miracles les plus fascinants que Jésus ait accomplis est la guérison d’un homme qui ne pouvait pas parler : il a d’abord « mis son doigt dans l’oreille de l’homme, puis il a touché sa langue et lui a dit Ephphatha, ouvre-toi. » (Marc 7,31-37). Il est clair que nous ne pouvons pas parler si nous n’avons pas entendu. En fait, la plupart des personnes muettes ne peuvent pas parler non pas parce que leur langue est défectueuse, mais parce qu’elles sont sourdes.

On ne peut produire un son sans en entendre un. Il y a quelques années, à l’université de Santo Tomas à Manille, plus de deux mille patients sourds ont reçu des appareils auditifs gratuits de la part d’une fondation. J’ai personnellement constaté que le visage innocent des enfants sourds s’illuminait lorsqu’ils entraient émerveillés dans le monde du son ! C’est comme s’ils se sentaient chatouillés en entendant quelque chose pour la première fois ! Ensuite, on leur a appris à produire leurs premières syllabes : “Ma-man, Pa-pa”. Leur capacité à prononcer des mots dépendait en grande partie de leur capacité à les écouter. Ils ne pouvaient pas parler s’ils n’avaient pas d’abord entendu.

Tous les baptisés sont appelés à être des prédicateurs de la parole de Dieu15 , à parler, même au nom de l’Église. Mais on ne peut parler au nom de l’Église que si l’on écoute d’abord dans une obéissance attentive à la Parole de Dieu et à ce que l’Église enseigne. En effet, comment parler correctement si l’on n’a pas entendu correctement ? Comment pourrait-on parler de Dieu si l’on ne parle pas avec Dieu ou si l’on ne l’écoute pas dans la prière et la contemplation ?

La communion. La grâce (res tantum) de l’Eucharistie est la communion avec Dieu et avec les autres.16 « L’Eucharistie crée la communion et favorise la communion »17.  La naissance de l’Église à la Pentecôte est un événement où convergent des personnes venant, littéralement, d’horizons différents. La grâce permettant à cette ekklesia d’embrasser la diversité, d’être véritablement katholikos, a conduit de nombreux peuples de “parcours et de milieux différents” dans une même direction, en tant qu’hommes et femmes qui étaient d’abord connus comme appartenant à la Voie, hodos (Actes 9,2 ; 19,9, 23 ; 22,4 ; 24,14,22).18

Le rite de communion commence par le Notre Père. Lorsque Jésus nous apprend à appeler Dieu notre Père, il ne nous enseigne pas seulement comment nous devons nous comporter avec Dieu en tant que Père, il nous enseigne également à nous traiter les uns les autres comme des frères et des sœurs. Dans sa prière au Père, Jésus nous révèle sa volonté : que nous soyons tous un, que nous soyons en communion avec la Trinité et avec toute l’humanité. L’Évangile de Jean présente de manière concise la mission de Jésus : « … car il est venu rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,52). Nous voyons l’accomplissement progressif de la prière et de la mission de Jésus dans son corps mystique, l’Église, depuis ses débuts. Dans les Actes des Apôtres, nous lisons que « la communauté des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme » (Ac 4,32).

Notre frère Thomas enseigne que l’Eucharistie a une triple signification correspondant au passé, au présent et à l’avenir. En ce qui concerne le présent, l’Eucharistie signifie l’unité ecclésiastique, dans laquelle les hommes sont agrégés par ce sacrement, et c’est à ce titre qu’elle est appelée ” communion ” ou ” synaxe “. Damascène dit en effet (De Fide Orth. iv) qu’elle est appelée Communion parce que, par elle, nous communions avec le Christ à la fois parce que nous participons à sa chair et à sa divinité, et parce que, par elle, nous communions et sommes unis les uns aux autres ».19 Ainsi, pour saint Thomas, la res tantum ou la grâce de l’Eucharistie est la communion, l’unité ecclésiale. Nous pourrions donc dire à juste titre que notre célébration de l’Eucharistie, signe de l’alliance entre Dieu et la race humaine, reste, en un sens, incomplète tant que nous, baptisés, sommes divisés par la haine ou séparés les uns des autres.20

Mission. Ite, missa est. La communion est ordonnée à l’envoi, à la mission. Celui qui reçoit la sainte communion est poussé à partager, à apporter Jésus aux autres. De même, la communion synodale est toujours orientée au-delà d’elle-même, vers la mission, pour prêcher l’Évangile jusqu’aux extrémités de la terre (Ac 1,8), car comment pourrait-elle être vraiment synodale si elle cessait d’être “en chemin”.

L’unanimité de cœur et d’esprit de la première communauté de croyants (Actes 4,32) est un idéal pour l’Église tout entière. Saint Augustin précise cette unanimité : « être d’un seul cœur et d’un seul esprit sur le chemin vers Dieu »21 . Pour Augustin, l’unité d’esprit et de cœur, c’est-à-dire la communion, reste statique, sans telos explicite. C’est pourquoi il ajoute : en route vers Dieu. La synodalité, le fait d’être en chemin ensemble, imprègne la notion de communion de mouvement et de dynamisme. Chaque “moment synodal”, qu’il s’agisse d’un petit chapitre communautaire, d’un synode d’évêques ou d’un concile œcuménique, est une occasion privilégiée de croissance et de développement.  Lorsque les membres du synode se réunissent pour discerner les réponses aux questions auxquelles l’Église est confrontée, ils s’écoutent et apprennent les uns des autres jusqu’à ce qu’un consensus soit atteint. Chaque conclusion d’un synode est un nouveau pas en avant pour la communauté ecclésiale concernée.

Que notre voyage ensemble nous amène à reconnaître le Seigneur ressuscité qui nous accompagne tout au long du chemin, le Pain céleste que nous rompons et partageons, l’Amour qui brûle toujours dans nos cœurs, en nous ouvrant les Écritures et en nous poussant à proclamer ce que nous avons vu, entendu et touché – la PAROLE de VIE.

Votre frère,

fr. Gerard Francisco P. Timoner III, OP
Maître de l’Ordre


Certaines des idées contenues dans cette lettre faisaient partie de ma contribution au document La synodalité dans la vie et la mission de l’Église (2018) de la Commission théologique internationale.



  1. https://www.americamagazine.org/faith/2023/10/12/timothy-radcliffe-dominicans-synod-jesuits-246278 ↩︎
  2. Paul VI, Apostolica Sollicitudo, II. ↩︎
  3. Thomas d’Aquin, Summa Theologiae III, q. 73, a. 4, resp. ↩︎
  4. Lumen Gentium, 12. ↩︎
  5. Commission théologique internationale, La synodalité dans la vie et la mission de l’Église (2018), n° 6. Voir aussi no. 3 : ” “Synode” est un mot ancien et vénérable dans la Tradition de l’Église, dont le sens puise dans les thèmes les plus profonds de la Révélation. Composé de la préposition συν (avec) et du substantif όδός (chemin), il indique le chemin sur lequel le peuple de Dieu marche ensemble. Il fait également référence au Seigneur Jésus, qui se présente comme “le chemin, la vérité et la vie” (Jn 14,6), et au fait que les chrétiens, ses disciples, étaient à l’origine appelés “disciples du Chemin” (cf. Ac 9,2 ; 19,9.23 ; 22,4 ; 24,14.22). Le document est disponible ici. ↩︎
  6. Ignace d’Antioche, Ad Ephesios IX, 2 ; Franz Xaver Funk (ed.), Patres apostolici I, Tubingen : H. Laupp, 1901, p. 220. ↩︎
  7. Paul VI, Apostolica Sollicitudo, II, 1.b. Bien que ce document concerne spécifiquement le Synode des évêques, l’objectif d’une réunion synodale reste le même à tous les niveaux d’une assemblée synodale. ↩︎
  8. Bien qu’une traduction plus littérale soit “Car il a semblé bon à l’Esprit Saint et à nous-mêmes de ne pas vous imposer un fardeau plus lourd que ces points essentiels”, le texte grec traduit un discernement et une décision des apôtres guidés par l’Esprit, ce qui est rendu de manière un peu vague mais claire par “nous avons décidé, l’Esprit Saint et nous…” ↩︎
  9. Cette pratique juive du tirage au sort se fait ” en présence du Seigneur ” ; par exemple, Josué a tiré au sort les terres qu’il a attribuées aux Israélites (Josué 18:6,8,10). Il est vrai que c’est le Seigneur, et non le hasard, qui décide : “On jette le sort dans le sac, mais c’est de l’Éternel que vient toute décision” (Proverbes 16:33). ↩︎
  10. Ecclesia de Eucharistia, 6. ↩︎
  11. Lumen Gentium, 12. ↩︎
  12. Benoît XVI, Homélie, Liturgie d’ouverture, Synode des évêques 2012. ↩︎
  13. Timothy Radcliffe, Take the Plunge : Living Baptism and Confirmation (Londres : Bloomsbury, 2012) p. 129. ↩︎
  14. Saint Julien Eymard, Règle de vie, 9. ↩︎
  15. Benoît XVI, Verbum Domini, 94. ↩︎
  16. Thomas d’Aquin, Summa Theologiae III, q. 73, a. 4, resp. ↩︎
  17. Jean-Paul II, Lettre encyclique Ecclesia de Eucharistia, 40. ↩︎
  18. hē hodos est un nom spécifiquement lucanien pour les premiers chrétiens en tant que groupe. Voir Joseph Fitzmyer, SJ, “The Designation of Early Christians in Acts and their Significance” dans To Advance the Gospel, 2nd edition, Grand Rapids : W.B. Eerdmans, 1998, pp. 320-321. ↩︎
  19. Thomas d’Aquin, Summa Theologiae III, q. 73, a. 4, resp. ↩︎
  20. Règle de vie de la Congrégation du Saint-Sacrement, 38. ↩︎
  21. Dans certaines versions de la Règle de saint Augustin, nous lisons : et sit vobis anima una et cor unum (Act 4, 32) in Deo. Dans cette version, “in Deo” (ablatif) indique une position statique. En revanche, la Regula ad servos Dei (PL 32) utilise “in Deum” (accusatif) qui traduit un mouvement, c’est-à-dire “vers Dieu ou en direction de Dieu”. Je propose ici à la réflexion la version au sens “dynamique”, c’est-à-dire “in Deum”, que saint Augustin a utilisée pour expliquer ce que signifie “vivre dans l’unité” : Et quid est, in unum ? Et erat illis, inquit, anima una et cor unum in Deum. (Enarrationes in Psalmos, 132,2, PL 36) et dans sa lettre aux moniales écrite vers 434, où il utilise la même expression : Primum propter quod estis in unum congregatae, ut unanimes habitetis in domo, et sit vobis cor unum et anima una in Deum (Epistola 211, 5, PL 33 ; tous les textes latins sont tirés de l’édition Nuova Biblioteca Agostiniana).  C’est pourquoi Van Bavel affirme que : “È caratteristico di Agostino aggiungere quasi sempre all’idea di “un cuor solo e un’anima sola, tratta degli Atti degli apostoli, la frase : “in cammino verso Dio” (Il est typique d’Augustin d’ajouter presque toujours à l’idée d'”un seul cœur et une seule âme”, tirée des Actes des Apôtres, la phrase : “en chemin vers Dieu”. Cf. Tarsicius Van Bavel OSA, La Regola di Agostino d’Ippona, Palermo : Edizioni Augustinus, 1986, p. 48. ↩︎
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