Homélie par Fr. Dominik Jarczewsk, OP

Homélie du 29 juillet 2022

De l’amour et de la mort 

Nous fêtons aujourd’hui les amis de Jésus : Marthe, Marie et Lazare. Alors, la liturgie nous met au centre de notre réflexion, le mystère de l’amitié. Et, si chaque liturgie est christocentrique, la fête d’aujourd’hui nous invite à contempler Jésus autant que l’Ami des hommes. Et de comprendre, de ce point de vue, notre vocation commune comme celle des amis de l’Ami. 

Toutefois, loin d’atmosphère d’éloges et d’apothéose insouciante, l’évangile que l’Église nous offre nous présente l’amitié mise en doute par la mort. L’amitié menacée, l’amitié au bord de sa décomposition. Finalement, l’amour, est-elle vraiment aussi « fort que la Mort » (Ct 8,6) ? L’amitié résistera-t-elle à l’épreuve ? Tiendra-t-elle bon face à la mort ? Peut-elle embrasser le mal-aimé, le non désiré : les rancœurs, les divisions, un avenir inachevé à jamais ? Est-elle capable de s’entendre avec eux, de les apaiser ? 

Si cela est bien démontré quelque part, c’est dans l’exemple de Marthe. Notez combien son caractère est étonnamment cohérent avec le récit de Luc. Marthe est toujours une femme d’action, une militante. Elle n’accepte pas patiemment le cours inerte des événements, mais elle prend l’initiative. Elle n’attend pas à la maison, mais lorsqu’elle apprend que Jésus arrive, elle sort à sa rencontre. 

Et à cet instant, tout son pragmatisme, toute sa volonté d’agir se heurte douloureusement à l’impossibilité de la mort. L’implication: l’action-réaction est interrompue, car du côté des conséquences, tout a déjà été anéanti par la mort. Ce sur quoi elle n’agirait pas resterait déjà dans le domaine du non-accomplissement, du contrefactuel. Et puis son impératif d’agir ne se transforme en rien de plus qu’une rancœur. Si tu avais été ici… Mais tu n’avais pas été ici, alors tout cela ne servira à rien.

Arrêtons-nous un instant sur le chagrin de Marthe. Voyons dans son drame nos petites et grandes morts. La mort de nos ambitions, de nos projets, de nos imaginations. Peut-être la mort d’un monde auquel nous nous sommes habitués, ou d’un monde auquel, malgré les faits, nous aimerions croire. Si tu avais été ici… Mais où avais-tu été? Qu’est-ce qui t’a arrêté ? 

Marthe est pourtant une femme de foi : « Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera ». En effet, elle croit à la résurrection. Oui, au dernier jour, mais cette mise en garde représente déjà l’espoir timide sous la direction de Jésus. « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. » N’est-ce pas ? À moins que tu ne dises le contraire… Et pourtant : « tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera ». La résurrection abstraite et lointaine devient la réalité concrète et tangible. Voici, le chemin de la foi que Jésus leur propose. Qu’il propose à nous aussi : la mort personnelle qui permet de découvrir et de vivre la résurrection aussi personnelle. 

Nous connaissons la conclusion de cette histoire. Mais apprécions-nous son importance ? Jésus ne ressuscite pas simplement Lazare — comme un magicien qui tourne habilement les pages des événements. La mort a passé son jugement. Le calcul doit être effectué. Jésus ne la remet pas en cause, mais se met à la place de Lazare. Il accepte la mort à sa place. En ce sens, les paroles de Thomas, quelques versets plus tôt, ne devraient-elles pas être lues comme prophétiques : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui » ? 

Jésus se substitue à Lazare, et en Lazare il se substitue à nous. En disant cela, je me souviens d’une idée de mise en scène très ingénieuse du metteur en scène de l’oratorio « Théodora » de Haendel. L’oratorio raconte l’histoire d’une jeune chrétienne qui est emprisonnée pour avoir refusé de participer au culte de Vénus. Didyme, officier romain, converti par Théodora et amoureux d’elle la persuade de s’échapper avec son uniforme, le laissant à sa place. À la fin du deuxième acte, Didyme est laissé seul dans sa cellule et le chœur chante l’histoire de la résurrection du jeune homme de Naïn. Dans la mise en scène, Didyme se lève de son lit et commence à lire l’évangile. Soudain, à l’insu du public, sa place sur le lit est occupée par la silhouette illuminée d’un jeune homme. Didyme se substitue à Théodora et attend maintenant la mort, mais sur le plan théologique, il est lui- même remplacé : sa place est prise par le Christ, le fils de l’homme. 

Alors, oui ! La vraie amitié, celle que Jésus nous offre, est plus forte que la mort. Elle est capable d’accepter la mort et — par la grâce de la Résurrection — la convertir dans la vie. L’amitié à laquelle Jésus nous invite, l’amitié dont l’exemple nous présente la famille de Béthanie, n’est pas exempte de mort, de division ou de douleur. Elle est cependant riche en résurrection. L’amitié de Jésus est la source de la résurrection. C’est la force qui détruit la mort. 

Fr. Dominik Jarczewsk, OP

Fr. Dominik Jarczewsk, OP

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