Entretien avec le frère Timothy Radcliffe, OP, qui a prêché la retraite pour les évêques du monde entier qui participaient au Synode.
« Beaucoup de frères s’enthousiasment pour la synodalité, mais pas tous. Certains y voient une perte de temps. Mais nous avons tous le devoir de soutenir l’Église autant que nous le pouvons, avec honnêteté. Un désaccord ouvert est acceptable. » Timothy Radcliffe, OP, ancien Maître de l’Ordre (1992-2001) et l’un des frères qui ont aidé au travail synodal a été chargé par le pape François de prêcher la retraite pour les évêques du monde entier qui participaient au Synode sur la synodalité. Il nous met en garde dans l’interview qu’il a accordée aux médias de l’Ordo Praedicatorum.
“Dominicanes in synodi coetu de synodalitate”
1 – Votre participation au Synode est comme la présence d’un prédicateur qui essaie d’éclairer les éclairés. Quelles sont les ressources historiques ou spirituelles du charisme dominicain qui accompagnent l’Église sur ce chemin ?
Il est vrai que les trois premiers jours, les membres du Synode ont dû m’écouter, mais mon souhait était de les écouter et d’apprendre ! Marie-Dominique Chenu nous a appris que les Dominicains sont toujours des étudiants ! Après chaque rencontre, il nous posait la même question : « Qu’avez-vous appris ? »
Le grand cadeau que nous faisons à l’Eglise en ce moment du synode, c’est huit cents ans de “gouvernement communautaire”, tel que défini par les Livre des constitutions et des ordinations (LCO). Toutes nos vies sont fondées sur l’écoute : écoute de la Parole de Dieu, de chacun et des personnes auprès desquelles nous exerçons notre ministère. Cela représente un art important dans une société remplie du bruit des gens qui crient.
2 – Quelles lumières avons-nous pour prêcher au milieu des pandémies et des guerres ?
La pandémie a laissé des millions de personnes isolées et solitaires, effrayées à l’idée de s’engager avec d’autres. Nous devrions inviter les gens à prendre le risque de donner leur vie aux autres. C’est un risque. Comme Herbert McCabe aimait à le dire : « Si vous aimez vous serez blessé ou même tué. Si vous n’aimez pas, vous êtes déjà mort. »
La guerre en Ukraine faisait rage lorsque l’Assemblée a commencé. Le Hamas a commis d’horribles atrocités quatre jours après l’ouverture du synode. Pour la première fois depuis la crise des missiles de Cuba, on risque le déclenchement d’une guerre nucléaire. Je n’ai jamais pensé que je vivrais pour voir cela. Nous ne pourrons prêcher la paix que si nous sommes profondément en paix, avec ceux qui ne nous ressemblent pas, avec nos frères et nos sœurs et, plus fondamentalement, avec nous-mêmes, par la grâce du Seigneur qui a promis sa paix que le monde ne peut pas donner.
3 – Quelles seraient les questions fondamentales à débattre dans l’Église et celles qui nécessitent des décisions urgentes ?
Le Pape François dit toujours : « L’Esprit Saint est le protagoniste du Synode » et nous ne pouvons pas dire à l’Esprit de se dépêcher ! Nous pouvons supplier Dieu de se dépêcher, mais la grâce agit comme elle le veut. Pour moi, il y a trois questions vitales que nous devons aborder. D’abord, le développement de nouveaux ministères afin que les laïcs, et en particulier les femmes, puissent jouer un rôle plus actif dans la vie de l’Église.
Deuxièmement, lors de la dernière session du synode, j’ai eu l’impression que beaucoup de nos frères et sœurs du Sud ne se sentaient pas pleinement entendus. Comment l’Église peut-elle devenir un signe d’unité pour le monde, une communauté dans laquelle chaque culture peut offrir ses dons et être libérée de ses préjugés ? Enfin, le Synode a profondément, et à juste titre, critiqué le cléricalisme que le pape François considère comme un poison pour l’Église. Je suis d’accord, mais nous devons donc présenter une théologie attrayante et positive du sacerdoce ordonné. Nous n’arriverons à rien sans le soutien énergique du clergé, qui fait souvent défaut.
Pour toutes ces questions, nous avons besoin de la pleine participation des théologiens pour nous aider dans notre dialogue avec la Parole de Dieu, la Tradition et le monde. Nous avons besoin de leur aide pour discerner ce qui est un développement sain de l’enseignement et de la pratique de l’Eglise et ce qui serait une déviation.
4 – Comment un Dominicain peut-il contribuer à la construction de la paix dans le monde ?
Par l’amitié et la conversation avec ceux qui pensent différemment. C’est le cœur de notre vie fraternelle et de notre gouvernement. L’amitié dans le Christ est notre participation à l’amitié éternelle du Dieu Trinité. L’amitié est plus qu’un sentiment de chaleur pour les autres. Elle nécessite toute notre empathie, notre intelligence et notre imagination pour aller vers eux et se sentir dans leur peau. La véritable amitié transforme ce que nous sommes.
5 – Voulez-vous ajouter quelque chose ?
Lorsqu’il était Maître, Vincent de Couesnongle a dit que le courage et la lâcheté sont tous deux contagieux et que nous avons tous le devoir de répandre le courage. Nous avons tous le devoir chrétien de rayonner le courage et l’espérance. Beaucoup de frères s’enthousiasment pour la synodalité, mais pas tous ! Certains y voient une perte de temps. Mais nous avons tous un devoir envers l’Église, celui de la soutenir autant que nous le pouvons, avec honnêteté. Un désaccord ouvert est acceptable. Undétachement cynique ne l’est pas.
Timothy Radcliffe, OP, (Londres, 1945), est un théologien dominicain, fils de la Province d’Angleterre. Il a enseigné l’Écriture Sainte à l’Université d’Oxford, au Centre Dominicain connu sous le nom de Blackfriars Hall, et a été élu Prieur Provincial en 1987. Il a ensuite été maître de l’ordre des prêcheurs de 1992 à 2001.
En janvier 2023, le pape François a chargé Fr. Timothy de prêcher la retraite pour les évêques du monde entier participant au synode sur la synodalité. La retraite a eu lieu du 1er au 3 octobre, à la veille de l’Assemblée synodale. Les méditations de Timothy ont été publiées par les médias officiels du Vatican.