L’expérience parle de la Vie Consacrée vers le Jubilé 2025

est une moniale dominicaine qui mène une réflexion théologique sur la vie spirituelle. Elle a écrit plusieurs livres et aujourd'hui elle réfléchit particulièrement sur la vie consacrée pour préparer le Jubilé 2025

Entretien avec Soeur Pascale-Dominique, OP.

Pascale-Dominique est une moniale dominicaine qui mène une réflexion théologique sur la vie spirituelle. Elle a écrit plusieurs livres et aujourd’hui elle réfléchit particulièrement sur la vie consacrée pour préparer le Jubilé 2025.

Quand on parle de la vie consacrée, y a-t-il des caractéristiques séduisantes à présenter comme une option de vie pour un jeune homme ou une jeune femme ?

Étant moniale dominicaine, je me limiterai à parler de ce que je connais de l’intérieur, c’est-à-dire de la vie monastique dominicaine. Dans notre Constitution fondamentale (= CF) il y a trois dimensions auxquelles nous pouvons inviter des femmes jeunes et plus mûres :

1) la participation, par la vie même plus que par la parole – vita magis quam sermone – à la mission de l’Ordre des Prêcheurs (CF 1 et 2) ;

2) une vie d’intériorité, à l’image de Marie assise aux pieds de Jésus, centrée sur la contemplation assidue du Christ Sauveur et l’écoute de Sa Parole (CF 3) ;

3) avec, dans la plénitude de l’Esprit, son prolongement extérieur par la vie fraternelle dans la communauté, dans l’Ordre, dans l’Église et dans le monde en général, rassemblée autour de Marie (cf. Ac 1,14), comme la première communauté de Jérusalem (Ac 2,42) (CF 4).

Nous pouvons reconnaître des caractéristiques séduisantes à ces trois niveaux :

Au premier niveau, la participation à la mission de l’Ordre est une manière de transmettre l’annonce de la Vie que le Christ Sauveur est venu nous donner ; c’est une manière de réaliser une maternité spirituelle, féconde en raison de sa participation concrète, personnelle et communautaire, à cette Vie et par l’accompagnement – les monastères sont bien des lieux où les personnes demandent d’être soutenues par la prière et à travers des entretiens spirituels.

Au second niveau, l’attrait pour la vie intérieure de prière, de méditation des Saintes Écritures et d’une contemplation « vive et assidue [du] Christ, qui est dans le sein du Père » (CF 3) est certainement l’attrait premier vers la vie monastique en général et puis vers sa forme particulière dans l’Ordre des Prêcheurs également caractérisée par la recherche de la vérité à travers l’étude.

À cela s’ajoute aussi, au troisième niveau, le témoignage de la vie communautaire, de la « Sainte Prédication » (CF 1), surtout par l’entente manifeste des sœurs et leur joie d’être ensemble, qui s’expriment de manière particulière dans la prière communautaire.

De ces trois points caractéristiques de la vie monastique dominicaine ressortent, quelques aspects concrets qui peuvent avoir un attrait particulier :

  1. l’exercice d’une maternité spirituelle en transmettant la vie, prenant soin d’autrui et aidant d’autres à croître vers la plénitude dans la vie du Christ ;
  2. la découverte et le développement des dons personnels – artistiques, musicaux, de dialogue, de consolation, ou intellectuels, entre bien d’autres – pour les mettre au service de la communauté, dans l’Ordre, l’Église et le monde environnant;
  3. et enfin, la vie communautaire qui est un soutien solide pour la vie spirituelle personnelle et porte le témoignage de la communion réalisée par l’Esprit Saint dans le Corps du Christ.

Est-ce que la théologie de la vie consacrée dans la tradition dominicaine est encore d’actualité aujourd’hui ?

L’attrait pour la vie intérieure de prière, de méditation des Écritures, de la contemplation et de l’étude, le témoignage de la vie communautaire dans la « Sainte Prédication » – aux côtés de nos frères, nos sœurs apostoliques et les laïcs de l’Ordre – et la participation à la mission de l’Ordre est toujours actuel ; en effet, tout cela sera nécessaire tant que dure le pèlerinage de l’humanité sur cette terre.

Ce sont en fait des caractéristiques que tous les chrétiens et toute l’Église « en sortie » (pape François) sont appelés à vivre. Sur ce point, une parole de saint Paul me vient à l’esprit :

Je te demande au nom de Dieu et du Christ Jésus qui doit venir juger les vivants et les morts – car il va se manifester et il régnera. Je te le demande : proclame la Parole, insiste à temps et à contretemps, cherche des arguments, ordonne et encourage, toujours avec patience et pédagogie (2 Tim 4,1-2).

Mais à nous, il revient d’être des protagonistes et des témoins à tous les niveaux.

L’approche théologique de la vie consacrée dominicaine peut-elle apporter beaucoup, par exemple, à la communion ecclésiale, au chemin synodal et à d’autres thèmes ?

C’est ainsi, en étant protagonistes et témoins, que nous pouvons contribuer à notre manière, c’est-à-dire en tant que moniales dominicaines, à la communion ecclésiale – enracinées que nous le sommes dans la tradition de saint Augustin et liées à travers elle à la première communauté de Jérusalem dont témoignent surtout les premiers chapitres des Actes des apôtres.

Mais notre forme de vie même est un mode de participation. Pour l’expliquer, je voudrais citer l’apophtegme d’un Père du désert – souvenons-nous qu’à côté de la tradition de saint Augustin, notre Père saint Dominique nous a indiqué de suivre la voie de saint Jean Cassien et des Pères du désert[1] :

Theophile, l’eveque d’Alexandrie de sainte memoire, vint un jour a Scété. Les freres qui etaient reunis demanderent à abba Pambo de dire quelques mots a l’eveque pour l’edifier. Mais celui-ci repondit : « S’il n’est pas edifié par mon silence, il ne le sera pas par mes paroles » (Théophile, 2).

Notre meilleur témoignage est peut-être notre silence – un silence plein de la contemplation aimante du Christ et de l’écoute de Sa parole –, car c’est là, dans le silence, que naît la parole que nous pouvons dire ou écrire. Il s’agit d’un silence – pour ainsi dire – apprivoisé, car être en silence est une épreuve pour beaucoup de gens et il faut tout d’abord apprendre à trouver son sens pour la culture et la croissance de la vie intérieure. Le silence devient ainsi le lieu de l’écoute, écoute de Dieu, écoute de l’Esprit Saint, écoute de l’autre, écoute des sans-voix[2] – qui sont parfois nos propres frères et sœurs dans l’Ordre –, sans l’intervention de notre propre parole intérieure qui juge, questionne, se prononce, avant que l’autre ait fini de parler[3]. Mais ensuite, nous pouvons et même nous devons intervenir, pour partager notre propre expérience, bonne et moins bonne, notre réflexion nourrie de l’étude et de la méditation de la Bible et de notre propre tradition spirituelle, et présenter nos questions et suggestions.

Comment voyez-vous le prochain Jubilé de la vie consacrée (2025) ?

Ce Jubilé sera un moment « caractérisé par le pardon des péchés et, en particulier, par l’indulgence qui est la pleine expression de la miséricorde de Dieu » comme le pape François le rappelle dans sa lettre à Mgr Fisichella, Président du Conseil Pontifical pour la Promotion de la Nouvelle Évangélisation, et sous le thème « Pèlerins d’espérance », espérance d’une vie nouvelle que la miséricorde de Dieu ouvre. Ce pourrait, bien sûr, être un temps pour nous interroger sur nos manques d’espérance et nos refus d’un renouveau de notre vie, mais aussi – dans un sens plus positif – le moment pour une révision de vie et pour revisiter les chemins que nous avons parcourus dans nos efforts pour mettre en œuvre l’aggiornamento continuel demandé par le Concile Vatican II[4]. Cela afin de devenir, nous moniales, porteuses de l’espérance caractérisée par la foi et un amour ouvert à tous.

Qu’aimeriez-vous dire à la famille dominicaine dans le monde ?

Dans ce sens, je voudrais partager quelques réflexions et souhaits qui ont surgi en moi grâce à mon expérience – inhabituel et singulier pour une moniale, mais pour laquelle je suis profondément reconnaissante au Seigneur et à mes supérieurs frères et sœurs – qui, en presque 40 ans dans l’Ordre, m’a conduite depuis le monastère d’Étiolles, près du Saulchoir, à l’intérieur de monastères de notre Ordre en Allemagne, Suisse, Belgique, Norvège, Espagne, Pologne, Italie, et enfin au monastère « Matris Domini » à Bergame, où je me trouve depuis deux ans. Ce temps a aussi été marqué par la « Rencontre internationale sur la Vie monastique dominicaine » au monastère de Herne, Belgique, en 1996, sous l’égide d’ESPACE et avec l’encouragement du Maître de l’Ordre P. Timothy Radcliffe et la participation de Mgr Pierre Raffin, o.p. ; puis, depuis 2010, par mon service de traductrice pour diverses entités ecclésiales et religieuses à Rome.

Je me suis rendu compte que beaucoup de changements ont été faits, tous avec le désir sincère de répondre avec l’Ordre aux défis du monde moderne. Mais l’aggiornamento au sens d’un retour aux sources n’a pas eu lieu, soit par manque de textes – par exemple, sous le régime communiste en Pologne, ils manquaient totalement –, soit faute de temps parce qu’il fallait gagner son pain, soit parce que les textes étaient édités et commentés par des historiens qui ont peu relevé leur valeur spirituelle.

Bien sûr, les études historiques sont précieuses pour connaître les origines de l’Ordre. Mais, il me semble que, maintenant que les textes essentiels[5] sont accessibles dans presque toutes les langues, il faut les étudier pour en trouver la sève sapientielle. L’ayant trouvée, il serait possible d’élaborer une nouvelle cura monialium, c’est-à-dire une sorte de « pastorale » pour la vie monastique dominicaine, avec l’aide de tous dans la Famille dominicaine, y compris les moniales elles-mêmes, pour sa diffusion[6]. Si nous ne le faisons pas, je crains de voir se réaliser la prédiction faite par notre Promoteur en 2009 : tous les monastères de l’Ordre en Europe fermeront dans les prochaines décennies. En revanche, si nous retrouvons cette sève sapientielle et si nous nous en nourrissons[7], nous pourrons présenter avec clarté notre identité de moniales dominicaines[8], notre charisme propre au sein de l’Ordre des Prêcheurs et susciter des vocations ardentes et persévérantes. Car, notre vocation est vraiment belle ! et elle est toujours d’actualité.

Sœur Pascale-Dominique, OP, se décrit ainsi :

« J’ai 66 ans et j’ai fait ma profession au monastère d’Evry en 1989. J’ai ensuite vécu à Lourdes et aussi en Espagne avant d’être appelée à Rome où j’ai travaillé comme traductrice pour la Curie de l’Ordre dominicain pendant 10 ans et pour l’UISG et divers dicastères du Vatican, à commencer par le Conseil pontifical Justice et Paix pendant plus de 12 ans. Parallèlement, en 2021, j’ai obtenu un certificat de spiritualité à l’Institut Catholique de Toulouse et, en cette année 2024, un Master en Théologie Spirituelle à l’Université Dominicaine Internationale de DOMUNI, avec un mémoire sur les Conférences de Jean Cassien, en vue d’une actualisation de la vie religieuse et d’une nouvelle traduction française des Conférences à paraître dans les prochaines semaines chez l’éditeur suisse Parole et Silence. »

Sœur Pascale-Dominique, OP


[1] Cf. la Règle de Saint-Sixte, nº 5, puis Jourdain de Saxe, Libellus, nº 13, cité dans la Constitution fondamentale.

[2] Cf. « Un Synode de l’écoute, prompt à la surprise », interview du P. Christoph Theobald sj : www.jesuites.com.

[3] Cf. Elzbieta Sujak, L’initiation de la psychologie de la communication, 2021.

[4] L’idée de l’aggiornamento est née au Saulchoir à l’époque préconciliaire ; elle fait donc partie de notre patrimoine dominicaine et mérite une attention toute particulière. Pour des détails, voir l’article de Marcellino d’Ambrosio, « La théologie du ressourcement, l’aggiornamento et l’herméneutique de la tradition » (lien actif).

[5] Il s’agit en premier lieu de la Constitution fondamentale, puis des textes dont elle porte l’empreinte : le Libellus de Jourdain de Saxe, la Règle de Saint-Sixte – rédigée par saint Dominique lui-même –, les Conférences de saint Jean Cassien et la Règle de Saint Augustin.

[6] Certains ouvrages utiles sur la Règle de saint Augustin existent déjà : la communauté du monastère d’Orihuela, Espagne, a publié un livre intitulé Santas y Beatas de la Orden de Predicadores (1207-2007) ; il y a plusieurs livres sur la Bienheureuse Agnès de Langeac. Dans quelques semaines ma traduction de Saint Jean Cassien, Entretiens I-X avec les Pères de Scété sera publié par Parole et Silence, et je travaille en ce moment sur les fondements spirituels de notre Constitution fondamentale. Une lecture sapientielle du Libellus serait bienvenue. Il serait utile de constituer une bibliographie des ouvrages de spiritualité qui touche directement la vie monastique dominicaine.

[7] Sauf les régions germanophones et l’Alsace voisin où les mystiques rhénans sont prisés, on cherche souvent la nourriture spirituelle ailleurs que dans l’Ordre. Thérèse de l’Enfant-Jésus semble être l’auteur le plus lu dans nos monastères en Europe.

[8] Je dis cela me souvenant d’une Carmélite qui a demandé à une de nos moniales de lui préciser l’identité et le charisme de son monastère ; cette dernière lui a répondu : « Oh, c’est comme un petit Carmel ». Une dizaine d’années plus tôt, dans les années 1990, une sœur de la Commission internationale des moniales s’est arrêtée dans notre monastère d’Evry en revenant d’une de leur réunion ; elle raconta qu’un des thèmes problématiques discutés était justement notre identité.

La fresque ancienne se trouve dans le cloître du monastère "Matris Domini" de Bergame.
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